Autant le dire tout de suite, cet article, malgré son titre, ne parle pas tant de yoga et de botanique que d’un club de pulls en laine…
Dans ce club donc, tout le monde porte un pull en laine. Suivons l’hypothèse que je ne me suis jamais interrogée sur les matières qui me procurent de la joie. Si tout le monde porte un pull en
laine, ne suis-je pas tentée de porter moi aussi de la laine ? Et une fois mon pull en laine enfilé, apprécié par le reste du groupe, ai-je encore le loisir, de me demander si j’aime la laine ?
Quelle est la symbolique de la laine ou le lien entre la laine et mon histoire personnelle ?
J’aimerais, pour explorer ces questions, prendre l’exemple de deux sujets que j’affectionne : le yoga et la botanique.
Dans ma pratique de yoga, j’ai développé une acuité fine aux sensations corporelles. J’ai passé des mois à explorer des mouvements mécaniques externes : bouger séparément chaque orteil du pied,
par exemple. J’explore aussi les sensations internes : le mouvement du coccyx, la place des reins dans le corps ou encore la sensation de douceur… Malgré les années de pratique, mon corps reste
néanmoins un territoire -en grande partie- inexploré. D’autant plus que les sensations se renouvellent chaque jour, chaque minute même : une nuit n’est pas l’autre, la nourriture que j’absorbe,
les rencontres que je fais, les pensées qui m’illuminent ou que je rumine, changent. Toutes ces conditions modifient mon territoire de sensations. Non seulement mon corps est singulièrement
singulier (Oh cette cicatrice sur mon pied ! Oh cette texture de peau sur le bras !), mais cette singularité est une surprise renouvelée à chaque instant.
J’ai récemment commencé à m’intéresser à la botanique et j’ai senti ce même élan du singulier chez les plantes : une richesse et une créativité inouïe dans les formes, les couleurs, les textures,
les odeurs, les assemblages…
Sur un sol en bonne santé, les plantes s’épanouissent dans une fascinante diversité et interagissent dans un système complexe. Si vous m’autorisez l’anthropomorphisme, on pourrait dire, qu’elles
se protègent, s’entraident, se soutiennent…les unes les autres, tout en nourrissant, aérant, fertilisant le sol commun.
On pourrait dire que, dans un atelier « Art à l’école », chaque enfant est comme un organe ou une plante. J’observe et j’encourage chacun dans sa singularité singulière, tout en
essayant de préserver un sol commun en bonne santé. Le frottement avec les matières artistiques permet aux enfants d’explorer leur façon singulière de bouger, de parler, de dessiner ou d’écrire.
D’autre part, je maintiens un cadre de bienveillance -pour soi et les autres- en encourageant à sortir du jugement, de la comparaison et de la compétition. Par le déploiement des
singularités et la confiance en soi que ce déploiement permet, le sol du vivre ensemble se trouve profondément enrichi. Chaque organe se déployant dans sa fonction singulière permet au corps
d’être en bonne santé et de s’épanouir harmonieusement.
Mais revenons au club des pulls. Si, en apprenant à me connaître, je détermine quelle matière j’aime vraiment porter, il est fort probable qu’un membre du groupe des pulls en laine me dise
« Et toi, le pull en coton ! Tu es vraiment un égoïste. Tu ne vois pas que nous portons tous de la laine ? Cela nous rend triste que tu ne fasses pas comme nous. » Un autre m’expliquera
pourquoi « en soi », la laine est la meilleure des matières ou m’invitera à la solidarité.
Ma singularité d’amateur de coton, de mohair ou de polyester (ou ma capacité à explorer, avec brio, l’infinie nuance des matières) aura alors bien du mal à se glisser dans ce discours normatif.
Il me faudra un peu de courage pour braver les « en soi » et les « il faut » et les « tu ne comprends donc pas » et les « je suis triste que tu ne fasses pas
comme tout le monde » pour rester au plus proche de mes goûts et de mes aspirations. Pourtant, ce n’est qu’en m’affirmant dans mon singulier, en explorant toujours plus ce que j’ai de
profondément unique, que je peux venir réellement « nourrir », aérer le sol, bref régénérer le collectif.
Je termine cet article et je descends dans les rues grises de ma ville où peu de plantes poussent encore. Dans le métro, tout le monde (ou presque) est habillé en…noir. Mais j’ai dans le coeur,
au chaud, un arc-en ciel et sans doute l’espoir vibrant d’un monde commun où coexistent, en harmonie, les différences.